La « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi

Publié le par Etienne Lozay

Pierre Rabhi

A 76 ans, Pierre Rabhi continue son tour du monde pour éveiller les consciences

         Avignon, conférence du 17juin 2014. Il est parfois nécessaire à l’homme de marquer une pause dans sa cadence et de se rappeler d’où il vient, ce qu’il est et comment ilvit. Pierre Rabhi a beau être en décalage avec le fonctionnement actue de notre société, son discours n’a jamais été aussi proche des réalités quotidiennes de l’être humain. Son émérite travail d’éveilleur des consciences depuis de longues années, ses combats pour la préservation de l’environnement et la promotion d’une agro-écologie font de lui un penseur emblématique d’une autre façon de consommer, de partager, de vivre.

Une société d’artifices et de dépendances

          L’auteur de « la sobriété heureuse » souhaite s’affranchir du « toujours plus indéfini » en renvoyant l’être humain à son authenticité, lui qui évolue désormais constamment au contact d’innombrables supports de distractions factices. La course à la satisfaction du désir, alimentée en permanence depuis l’avènement du marketing et de la publicité, a amplifié des besoins insatiables et crée des éternels insatisfaits. Pourtant le bonheur est un concept finalement bien plus simple, ne semblant pas y adhérer : cette gigantesque « machine à produire de l’argent », à l’œuvre dans les pays riches, a aussi conduit ses habitants à devenir les plus grands consommateurs d’anxiolytiques au monde. L’ethnie pauvre, dansant et chantant à la pratique de ses rites, n’est souvent pas évoquée dans notre modèle comme une représentation heureuse d’un idéal sociétal.

    Selon Pierre Rabhi, la modernité, qui à son essor était censée apporter un pouvoir libératoire à l’individu, n’a entrainé que manque, insatiabilité et inégalités.

           Il se remémore la « cité idéale » de Platon où prévaut l’harmonie d’un ordre social organisé par ses membres sans connaître l’anonymat, les préjugés, la méfiance. La hiérarchie de notre mode occidental est calquée sur celle de l’entreprise, impersonnelle, non fondée sur la bonté ou générosité de l’homme mais sur ses compétences et sa technicité. Fatalement les disparités, les violences et les injustices prolifèrent au profit des puissants : l’argent a ainsi légalisé l’emprise sur le bien et le patrimoine commun (on compte désormais plus de 1500 milliardaires êtres humains en dollars). Le superflu est sans limite, « l’indigence de plus en plus indigente ».

          Pierre Rabhi voit les rapports sociétaux aux prises avec une dualité permanente en lieu et place de son souhait d’interdépendance et de son associativité. Compétitivité et apologie de la performance viennent entraver coopération et solidarité entre les peuples. La dualité est politique (le clivage gauche droite affaiblit l’ensemble des énergies humaines) et idéologique (les religions, le désaccord avec une humanité unifiée). L’ensemble des relations humaines est régi par le système dans lequel nous vivons où se sont installés la science et la technologie. Sans les réprouver, le natif d’Algérie montre le paradoxe dans lequel se trouvent les citoyens réfutant les conséquences sociétales, environnementales d’un tel fonctionnement tout en devant s’y compromettre : ils utilisent avec dépendance leur voiture, le carburant, l’électricité et font fonctionner un ordre établi qu’ils récusent pourtant. Il en va de même avec les divers scandales alimentaires auquel nous assistons passivement sans pouvoir influer sérieusement sur le contenu de nos assiettes.

        Comment alors contrôler notre évolution ? C’est pour palier à ce faible « espace de détermination » qu’il faut « élever sa conscience », elle-même aux prises avec un obscurantisme généralisé par le système humain. Les contentieux sont entretenus, les évidences et les erreurs ne sont pas éclairées.

Pierre Rabhi

Si l’on veut changer les choses, il faut avant tout « faire sa part »

             Pour ce philosophe dont les propos connaissent aujourd’hui un retenti international (collaboration avec l’ONU, Forum Social Européen), la grande question est désormais de savoir si le genre humain peut perdurer au vu des transgressions qu’il a mises en place. La fascination bloque le raisonnement et l’homme se retrouve devant le constat de ses absurdités. Pierre Rabhi évoque symboliquement l’exemple d’un accident entre deux poids lourds dans le centre de la France à la fin des années 80 qui avait provoqué un vrai scandale :

    L’un des poids lourds transportait des tomates provenant d’Espagne à destination de la Hollande, l’autre camion déplaçait aussi des tomates mais originaires de la Hollande à destination de l’Espagne. Les tomates espagnoles et hollandaises se mélangeaient alors sur le bitume de la route française, otages spectaculaires des dérives des politiques libre-échangistes mises en place depuis le milieu du 20ème siècle.

          Dans son dernier documentaire intitulé « Au nom de la terre », Pierre Rabhi s’émeut du sort livré à la jeunesse : « On voit s’ériger des générations d’enfants qui, faute d’un éveil à la vie, sont réduits à n’être que des consommateurs insatiables, blasés et tristes. » Son plébiscite ne fait que grandir comme l’a témoigné sa candidature aux élections présidentielles de 2012. Pour autant, sa recherche d’une organisation sociale à juste mesure ne succombe pas aux aspirations du triomphe politique, considérant et promouvant la société comme un espace d’expression. A l’échiquier politique lointain du citoyen dans lequel il n’est pas à son aise, il préfère revenir aux sources humaines de son combat, au travers d’une légende amérindienne qu’il aime couramment rappeler à ceux qui se désenchantent :

      « Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »








































































 

Quelques publications essentielles de Pierre Rabhi:

 

"L'Offrande au crépuscule" (Prix des sciences sociales agricoles du ministère de l'Agriculture), Éditions de Candide, Lavilledieu, 1989, rééd. aux éditions L'Harmattan 2001.

"Parole de Terre : une initiation africaine" Éditions Albin Michel, Paris, 1996 (préface de Yehudi Menuhin)

"La Part du colibri : l'espèce humaine face à son devenir" (Éditions de l’Aube, 2006

"Manifeste pour la Terre et l'Humanisme - Pour une insurrection des consciences," éd. Actes Sud, Arles, 2008

"Vers la sobriété heureuse" éd. Actes Sud, Arles, 2010

"Éloge du génie créateur de la société civile" éd. Actes Sud, Arles, 2011

  1. Francis ALEXANDRE

    Ce commentaire me ramène en 2006, à un séjour en ARDECHE, à CHABONAS et à LABLACHERE au mas de BEAULIEU, où eurent lieu, en compagnie de Pierre RABHI, les assemblées générales de « TERRE ET HUMANISME » d’une part et d’autre part de « OASIS EN TOUS LIEUX ». Deux journées associatives où Pierre RABHI retraçait l’antériorité de « terre et humanisme », et précisait l’urgence des « oasis en tous lieux ». Je savais, par ces écrits, Pierre RABHI fascinant, captivant, intelligent, et totalement engagé. Je constate, aujourd’hui encore, qu’il est toujours disponible pour éveiller en chaque homme, entre le rêve et la réalité de chacun, un terrain favorable pour une vérité durable. Celle de trouver en nous nos propres ressources et faire, dans ce beau temps de vie qui nous est donné, notre part. Merci Pierre. Francis ALEXANDRE Narbonne

  2. Nikoko

    Un pas après l’autre, jour après jour comme le colibri nous pouvons, si nous sommes nombreux apaiser la folie de ce monde.
    une ardéchoise de Veyras
    Merci Pierre

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