Les minerais du conflit : un fléau à l’heure du tout numérique

Publié le par Etienne Lozay

Smartphones, tablettes, télévisions et ordinateurs portables… De nombreux objets de notre quotidien sont fabriqués à partir de minerais du conflit, tels que le tungstène ou le tantale, provenant de mines contrôlées par des groupes armés majoritairement présents dans la région des Grands Lacs en Afrique. De nouvelles règlementations ou cadres de référence peuvent cependant changer la donne et pousser les entreprises à mieux contrôler leur approvisionnement.

 
La problématique des minerais du conflit est particulièrement prégnante en RDC et dans la région des Grands Lacs africains.
BIG / Novethic

En lisant Novethic.fr sur votre tablette, peut-être tenez-vous entre vos mains des "minerais du conflit".

Derrière cette expression (on parle aussi de "minerais du sang") se cachent quatre minerais et métaux – étain, tungstène, tantale et or –  dont la production est contrôlée par des groupes armés. Le lien est particulièrement fort en République démocratique du Congo (essentiellement dans la région du Kivu, voir infographie ci-dessous) et la région des des Grands Lacs africains mais aussi au Zimbabwe, en République centrafricaine, en Birmanie ou encore en Colombie.

À l’heure du tout numérique, il est donc urgent d’agir. Les entreprises, en particulier, ont un rôle important à jouer en maîtrisant leur chaîne d’approvisionnement. Depuis 5 ans, elles sont au centre de nouvelles réglementations ou lignes directrices prises par plusieurs pays.

 

Un cadre réglementaire qui s'étoffe

 

Ce sont d'abord les États-Unis qui ont ouvert le bal en 2010 avec le Dodd-Frank Act. La Section 1502 de cette loi américaine oblige les sociétés cotées en bourse aux États-Unis qui croient s’approvisionner en matières provenant de cette région d’opérer des contrôles sur leur chaîne d’approvisionnement (devoir de diligence) afin de déterminer si leurs achats de minerais ont bénéficié à des groupes armés impliqués dans des exactions. Les entreprises doivent alors soumettre un rapport public à l’organisme américain de réglementation des marchés financiers, la Security and Exchange Commission (SEC), à propos des mesures qu’elles ont prises.

Ensuite, l'OCDE (l'Organisation de coopération et de développement économique) a  publié des lignes directrices qui font aujourd'hui autorité pour les entreprises: le "guide sur le devoir de diligence pour des chaines d’approvisionnement responsables en minerais issus de zones de conflit ou à haut risque". Les 34 pays membres de l’OCDE y ont adhéré ainsi que 9 États non-membres (Argentine, Brésil, Colombie, Costa Rica, Lettonie, Lituanie, Maroc, Pérou et Roumanie).

En décembre 2015, la Chine a elle aussi adopté de nouvelles dispositions, bien que celles-ci soient volontaires, du moins dans un premier temps. Il s'agit des directives chinoises de diligence raisonnable pour les chaînes d'approvisionnement en minerais responsables. Elles ont été lancées par la Chambre de commerce chinoise des importateurs et exportateurs de métaux, de minéraux et de produits chimiques (CCCMC) qui dépend du ministère du Commerce chinois, en association avec l'ONG Global Witness et l'OCDE. Elles demandent à toutes les entreprises chinoises qui extraient ou utilisent des minerais ou des produits miniers (accent mis sur l'or, l'étain, le tungstène et le tantale) à n'importe quel niveau de la chaine d'approvisionnement de mettre en place un processus de contrôle basé sur le guide de l'OCDE.

Enfin, les différentes instances de l'Union européenne se sont mises d'accord en juin dernier pour que chaque entreprise qui importe des minerais bruts dans l'UE s'assure que leur extraction ne finance pas de groupes armés régionaux comme c'est souvent le cas en RDC et dans la région des Grands Lacs. Les détails techniques seront connus un peu plus tard mais les ONG regrettent déjà un champ d'application trop restreint.

 

Dissocier le commerce de minerais et les conflits

 

Quelles sont les effet de cette prise de conscience et de ces réglementations naissantes?

À l’occasion du dixième forum organisé sur le sujet, du 10 au 12 mai dernier, l’OCDE a dressé un premier bilan de sa mise en œuvre. L’organisation estime que le guide est devenu "un standard international", ayant bénéficié d’une "forte adhésion par tous les acteurs, qui ont lancé plusieurs programmes pour favoriser sa diffusion et sa mise en œuvre".

"Bien qu’il soit prématuré de tirer des conclusions définitives, des éléments tendent à indiquer que la mise en œuvre du devoir de diligence contribue, dans certaines zones et pour certaines ressources, à briser le lien entre l’extraction et le commerce de minerais et les conflits en Afrique centrale", précise l’OCDE.

Ainsi, les programmes de diligence mis en œuvre sur le terrain par les acteurs du secteur de l’étain, du tantale et du tungstène ont permis à environ 80 000 artisans miniers de la Région des Grands Lacs en Afrique d’accéder au marché. Et, selon le groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, "les conditions de sécurité se sont améliorées sur les sites d’extraction de l’étain, du tantale et du tungstène et le commerce de ces trois minerais est devenu une source moins importante de financement des groupes armés".

 

Source : rapport du CCFD-Terre Solidaire, Des ressources naturelles au coeur des conflits. Agir pour une législation européenne ambitieuse, octobre 2014.

 

Un quart des entreprises dans les clous

Mais si des progrès ont été enregistrés dans les chaines d’approvisionnement pour l’étain, le tungstène et le tantale, d’importants obstacles subsistent pour les chaînes d’approvisionnement en or. Le groupe de l’ONU estime qu’en 2013, 98% de l’or produit en RDC est sorti clandestinement du pays.

"Il reste beaucoup de travail à faire sur l’or dans les Grands Lacs, admet Ruth Crowell, directrice de LBMA (The London Bullion Market Association), qui a développé un standard pour l’or (il existe plusieurs systèmes de certification et de traçabilité, NDLR). Il y a aujourd’hui 4 921 tonnes d’or provenant d’approvisionnement responsable. Nos défis pour l’avenir sont d’améliorer les résultats sur le terrain et la compréhension de la problématique par les acteurs." 

Par ailleurs, si l’OCDE se félicite que son guide soit cité dans la réglementation nationale aux États-Unis (Dodd-Frank Act), dans plusieurs pays d’Afrique centrale (tels que la RDC et le Rwanda), dans les directives chinoises et dans la future réglementation européenne, les ONG sont beaucoup moins optimistes sur les effets de terrain.

Dans une déclaration publiée à l’occasion du dixième Forum sur les chaines d'approvisionnement responsables en minerais, la société civile regrette en effet que "dans la plupart des cas, les mesures de devoir de diligence et de signalisation des entreprises sont loin de respecter ne serait-ce que les exigences juridiques de base".

Des recherches menées par Amnesty International et Global Witness en 2015 ont ainsi révélé que seulement 20% des 100 entreprises sélectionnées au hasard vérifiaient et divulguaient de manière adéquate si leurs produits contiennent des minéraux provenant de la zone de conflit de la région des Grands Lacs, en vertu de l'article 1502 de la loi américaine Dodd Frank.

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