A Dax, le procès du faucheur de chaises devient celui de la BNP

Publié le par Etienne Lozay

Jon Palais était jugé pour avoir « réquisitionné » 14 chaises dans une agence parisienne de BNP-Paribas en 2015, afin de dénoncer l'évasion fiscale à laquelle participe la banque. Des centaines de personnes étaient présentes toute la journée pour le soutenir, et les juges ont semblé très compréhensifs envers son geste.

 

MediaPart.fr - 09/01/2017De notre envoyé spécial à Dax (Landes). -

 

Il y a fort à parier que si BNP-Paribas avait su la tournure que prendrait les événement, elle n’aurait pas porté plainte contre les « faucheurs de chaises ». Le premier procès de l’un des militants, auteurs de« réquisitions citoyennes » de sièges dans les agences bancaires pour dénoncer l’évasion fiscale, s’est déroulé à Dax ce lundi 9 janvier. Il a non seulement été l’occasion d’une démonstration de force de la société civile, avec plusieurs centaines de personnes mobilisées pour soutenir le prévenu, Jon Palais. Mais la justice s’est aussi montrée particulièrement bienveillante avec le militant qui se revendique de la désobéissance civile et de la non-violence, le procureur réclamant sa relaxe pure et simple.La banque avait peut-être senti le vent tourner quelques temps avant l’audience : bien qu’elle se soit constituée partie civile et réclame un euro symbolique de dommages et intérêts, aucun de ses représentants, ni de ses avocats, n’étaient présents à Dax.Les faits sont simples. Le 19 octobre 2015, vingt-cinq militants vêtus de gilets fluo entrent dans une agence de la BNP, rue de Rivoli à Paris, et emportent quatorze chaises.Ils expliquent leur action aux employés, puis plus tard sur une vidéo internet, où Jon Palais la revendique officiellement. L’homme est un militant hyperactif, au sein des associations basques Bizi ! ou Alternatiba et d’Action non violente-COP 21(ANV-COP21), qu’il a fondée. Lui et ses amis répondent en fait à un appel lancé le 29 septembre dans Libération par des dizaines de personnalités et d’associations, Amis de la Terre, Attac ou Bizi, Jean-Luc Mélenchon, Edgar Morin ou Christophe Alévêque.L’idée est d’« emprunter » 196 chaises avant la COP 21 dans les agences des banques les plus implantées dans les paradis fiscaux. Elles serviront de support à un sommet citoyen, où elles représenteront les 196 pays rassemblés lors de la COP 21, pour souligner l’urgence climatique et la difficulté de financer les actions en faveur de la transition écologique, alors que des centaines de milliards d’euros sont cachés dans les paradis fiscaux. Le sommet citoyen aura bien lieu, et une quarantaine d’actions dans des agences bancaires fournira les chaises, en plus grand nombre que prévu. 196 sièges ont été symboliquement rendus à la police, le 8 février dernier, jour de l’ouverture du procès de Jérôme Cahuzac à Paris (voir ci-dessous la vidéo de cette action). Les chaises restantes ont été publiquement confiées à de prestigieux parrains soutenant le mouvement, de l’ex-banquier Claude Alphande ry à l’ancien Premier ministre Lionel Jospin.La directrice de l’agence visitée le 19 octobre 2015 a porté plainte au nom de sa banque, et la procédure s’est engagée. Palais a été identifié sur sa vidéo de revendication, et poursuivi. Ces faits valaient-ils procès ? « La justice se centre sur l’histoire des chaises, mais bien sûr ces emprunts n’ont pas le moindre effet sur la santé financière de la banque, soulignait Jon Palais auprès de Mediapart quelques heures avant le procès. Mon action n’a aucun sens si on ne la lie pas avec la dimension politique et citoyenne de cette action civique : notre problème, ce n’est pas qu’il y ait des chaises dans les agences bancaires, mais que les banques jouent un rôle majeur dans l’évasion fiscale. »Autrement dit, « ce n’est pas mon procès qu’il faut faire, mais celui de l’évasion fiscale ». Et Palais et ses amis se sont employés à organiser l’événement, avec une efficacité redoutable.Pendant toute la journée à Dax, des centaines et des centaines de personnes (2 000 selon les organisateurs, sans doute un peu optimistes) étaient réunies dans les Halles de la ville, prêtées par la mairie en échange de la promesse qu’il n’y aurait aucune dégradation dans la cité. Tous les âges se mélangent sous les chasubles fluo siglées ANV-Cop 21, les t-shirts verts Bizi ! ou les K-ways blancs Greenpeace. A l’intérieur, une grande scène est prête pour un concert d’Alexis HK et côtoie une brasserie artisanale et des stands de nourriture solidaire. Des panneaux portant des petites annonces de covoiturage renseignent sur l’origine des participants : Paris, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Perpignan, Grenoble… Alertés par une mobilisation tout azimut, de nombreux journalistes étaient sur place, pour France Inter, BFM TV, Quotidien sur TMC, ainsi que Xavier Harel, journaliste auteur d’un excellent documentaire sur l’évasion fiscale qui prépare un nouveau film sur les banques pour France Télévisions.Dans la matinée, dans une salle pleine à craquer, une table ronde était organisée sous les auspices d’Attac, des Amis de la terre et de la Plateforme française de lutte contre les Paradis fiscaux (CCFD-Terre solidaire, Oxfam, One…). Elle a réuni les candidats à la présidentielle Yannick Jadot (EELV-Les Verts), Philippe Poutou (NPA), des représentantes de Benoît Hamon (PS) et de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), ainsi que Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne) ou la candidate issue de la primaire citoyenne, Charlotte Marchandise. L’eurodéputé José Bové sera de la partie dans l’après-midi. Et sa collègue Eva Joly, ancienne magistrate et avocate s’est chargée s’assurer la défense de Jon Palais au tribunal, avec sa fille Caroline Joly, elle aussi avocate.Pour planter le décor, le co-président d’Attac Thomas Coutrot rappelle que tous les ans, 60 à 80 milliards manquent à la France en raison de l’évasion fiscale, auxquels il faut ajouter 40 à 60 milliards dûs à l’optimisation fiscale des multinationales (dont certaines sont françaises, comme le cas Engie l’a démontré tout récemment ). « L’argent pour financer la transition sociale et écologique existe, il faut aller le chercher », résume Coutrot. Des termes qui seront repris sur tous les tons durant toute la journée.Il reconnaît que des avancées ont été obtenues ces dernières années, dont « il faut se féliciter » : l’échange automatique d’informations fiscales entre gouvernement est désormais une réalité pour une centaine de pays (la Suisse et le Luxembourg l’ont déclenché le 1er janvier), ainsi que l’obligation faite aux banques européennes de détailler toutes leurs filiales dans le monde, avec leur activité, leur bénéfice et les impôts qu’elles payent. Et l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac a été condamné en première instance pour fraude fiscale. « Les Etats n’ont fait que réagir sous la pression de l’opinion publique face à des scandales inacceptables, révélés par les médias ou par des lanceurs d’alerte », souligne Coutrot. Il rappelle dans la foulée qu’en France, le Conseil constitutionnel vient d’annuler deux dispositions de lutte contre l’évasion fiscale, au nom de la liberté d’entreprise.A l’applaudimètre, le public salue la sortie de Jadot appelant à traduire « les banques devant les tribunaux, pour incivisme caractérisé et pour fraude fiscale » et dénonçant les aller-retour des membres des cabinets ministériels et de la haute administration entre les banques et les services de l’Etat. Poutou se taille aussi un franc succès en réclamant« l’expropriation des banques ».Le procureur demande la relaxeEn poursuivant Jon Palais à Dax, près de son lieu de résidence, alors que l’action a eu lieu à Paris, la justice semble avoir tenté d’entretenir une certaine discrétion sur son cas. Idem pour le prochain sur la liste des poursuivis : Florent Compain, le dirigeant des Amis de la Terre, sera jugé le 11 avril à Bar-le-Duc, pour une action réalisée à Nancy le 6 novembre 2015. « Ils tentent peut-être de fuir la médiatisation, dit Compain. Mais pour une ville comme Dax, la mobilisation d’aujourd’hui est énorme. Nous sommes sur le premier procès de ce type d’action, et la décision sera bien évidemment étudiée de près par les autres tribunaux qui auront à juger d’affaires similaires. »Et si tentative d’étouffement il y a eu, elle a totalement échoué. Lorsque Jon Palais se rend au tribunal de grande instance de Dax, peu avant 13h30, il est précédé par une foule massive et bruyante, pancartes, banderole et porte-voix en avant, aux cris de : « C’est pas les faucheurs qu’il faut juger, c’est l’évasion fiscale en bande organisée ! » et « Nous sommes tous des faucheurs de chaises ! »Lorsqu’il pénètre dans la petite salle du tribunal de grande instance, les bancs, censés contenir une quarantaine de personnes maximum, sont pleins à craquer. Des spectateurs sont debout dans les allées, d’autres assis par terre. Les photographes se pressent pour prendre un cliché de l’homme qui cultive un air christique avec sa barbe et ses cheveux longs, aux côtés d’Eva et de Caroline Joly. « Du jamais vu à Dax », a-t-on entendu à plusieurs reprises dans la journée.La présidente du tribunal, Florence Bouvier, regarde cette agitation avec une certaine bienveillance et salue dans un sourire « un public enthousiaste ». Elle prend soin de mener l’audience comme si pour la dizaine d’autres affaires qu’elle aura eu à juger dans l’après-midi. Tout juste note-t-elle qu’étant donné l’affluence, certains autres prévenus n’ont sans doute pas réussi à entrer dans le palais de justice. La présidente remarque ensuite que la BNP n’est pas représentée à l’audience.L’audience n’est presque qu’une formalité. Jon Palais est également poursuivi pour avoir refusé les relevés d’empreintes et les prélèvements d’ADN ? Caroline Joly plaide que la procédure est nulle, car le gendarme qui l’a auditionné a négligé de demander l’autorisation du parquet pour effectuer les prélèvements, et le procureur Jean-Luc Puyo partage cette analyse, en tant que « premier garant des libertés individuelles ».Palais est surtout poursuivi pour vol en réunion, risquant en théorie 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. « J’ai bien participé à cette action de réquisition de chaises. J’étais le porte-parole de cette action, dont le but était de dénoncer le rôle des banques dans l’évasion fiscale », assume-t-il. Il développe sur cette« manière de dénoncer le vol organisé que constitue l’évasion fiscale », revendiquant« une action de désobéissance civile, avec une dimension civique et citoyenne » :« Contrairement à ceux qui organisent l’évasion fiscale, nous agissons à visage découvert, nous n’avons rien à cacher. »Pourquoi cibler principalement la BNP? Parce qu’il s’agit d’une des principales banques européennes, du premier établissement français, et qu’il est le plus présent dans les paradis fiscaux, avec 2,432 milliards d’euros de bénéfices réalisés dans ces territoire. C’est ce qu’un éclairant rapport d’ONG pointait en mars dernier.

Depuis, la banque a d’ailleurs décidé de quitter les Îles Caïmans…Le prévenu a ensuite rappelé que les fameuses chaises ont été rendues aux forces de l’ordre et appelé comme témoins le journaliste Antoine Peillon, qui a le premier dénoncé le scandale UBS dans un livre dès 2012, puis Vincent Drezet, dirigeant du syndicat Solidaires Finances Publiques. Tous deux ont témoigné du caractère purement revendicatif et non-violent des actions des faucheurs de chaises. « Je n’ai pas ressenti le moindre motif crapuleux. Les termes vol ou recel me paraîtraient complètement déplacés », a insisté Peillon.Cela tombe bien, le procureur partage cette analyse. Le représentant du parquet qualifie les faits non de vol, mais « d’emport » de chaises,en soulignant qu’il choisit ses mots. Il laisse entendre que si le prévenu avait accepté de livrer un témoignage au gendarme qui l’a interrogé, « le ministère public aurait pu retenir une autre solution » que le procès. Et bien vite, il indique qu’il n’y a pas à son sens dans ce dossier « d‘élément intentionnel de l’appropriation frauduleuse » et que « le vol n’est pas constitué ». Il demande donc la relaxe au tribunal, qui rendra son verdict le 23 janvier. Le seul reproche qu’il fait, très sérieusement, aux faucheurs de chaise est d’avoir pris le risque de déclencher un potentiel « incident cardiaque » chez une hypothétique personne âgée qui aurait pu assister à l’action et s’en inquiéter.Au passage, le procureur critique la banque qui ne s’est pas déplacée, alors que c’est elle qui a déclenché l’action publique en portant plainte. Et il révèle qu’avant d’être magistrat, il avait été… contrôleur des impôts dans les Hauts-de-Seine, et que le sujet de la fraude fiscale lui tient donc particulièrement à cœur. Légèrement prise à contre-pied, la défense de Jon Palais n’a plus, par la voix d’Eva Joly, qu’à dérouler le nombre de scandales dans lesquels est empêtrée la BNP, dont un récent dossier conséquent de fraude fiscale en Argentine, détaillé ici par Mediapart. « Jon Palais a toutes les raisons du monde d’emporter des chaises des agences de la BNP », tranche l’avocate.Le jugement sera connu le 23 janvier. « On ne peut pas anticiper les décisions, mais c'est une victoire de se sentir compris par un procureur », a déclaré Jon Palais à la sortie de l’audience. Avant de rejoindre les Halles, où ses soutiens l’attendaient pour faire la fête.« Vous êtes une vague qui se lève », a lancé Eva Joly à la foule en liesse. Une vague qui n’est pas loin d’avoir fait boire la tasse à la plus puissante banque française.

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