Michel Serres : Une compréhension provocante de la Sainte Famille

Publié le par Etienne Lozay

 

  Michel Serres explique, dans « Études », que la loi sur le « mariage pour tous » n'entre pas en contradiction avec la tradition de l'Eglise

« Quand la famille est le fondement de la société civile, de la politique et du droit, il est impossible d'établir une démocratie authentique, car la famille porte la responsabilité de la première corruption, celle de tourner toute loi au bénéfice des héritiers. » Telle est l'une des thèses de la réflexion « stimulante et originale » – comme l'écrit le nouveau rédacteur en chef François Euvé – de Michel Serres, publiée dans Études et intitulée « La saine famille ». D'une manière provocatrice, dans le contexte des débats autour du « mariage pour tous », l'académicien rappelle que c'est parce que l'Église a cessé, au Moyen Âge, de faire de la famille le fondement de la société que l'Europe a pu sortir « des luttes et vendettas qui opposaient alors tribus, castes ou clans ».

De même, c'est l'Église qui a aidé à séparer l'office du bénéfice, le fonctionnaire de sa fonction, afin qu'un poste ou un rôle social ne puisse être légué aux enfants, au risque, sinon, de tous les abus, comme on l'a vu avec les familles Ben Ali ou Moubarak qui s'étaient approprié la Tunisie ou l'Égypte. En évitant que le professeur ne puisse laisser sa chaire à ses enfants, on a permis de préserver l'expertise, scientifique, juridique et médicale. Et en imitant l'Église, les États devinrent libres d'établir la démocratie, de se constituer en États modernes.

Michel Serres partage aussi sa compréhension de la Sainte Famille, en tant qu'elle déconstruit la filiation naturelle. Non seulement « le père, Joseph, n'est pas le père naturel, ni Jésus le fils naturel », mais la Virginité de Marie introduit une rupture radicale dans la loi de la filiation, si bien qu'au sein de cette famille « les relations de sang sont amoindries et supprimées ». En substituant l'adoption, c'est-à-dire le choix libre et par amour, aux liens naturels de parenté, la Sainte Famille innove puissamment. Dès lors, pour faire partie de la famille chrétienne, ce ne sont pas les liens du sang qui comptent mais ceux que l'on choisit : la mère et les frères de Jésus sont « ceux qui font la volonté de (son) Père » (Mt 12, 49). Ainsi, pour Michel Serres, la loi sur le « mariage pour tous » n'entrerait pas en contradiction avec la tradition de l'Église. Elle aurait même été « miraculeusement préparée depuis deux mille ans par l'Évangile et instruite depuis mille par l'Église ».

 

Études, février 2013, n° 4182 .

LESEGRETAIN Claire

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